Entretien avec Séverine Ascencio-Joséphine, 
Fondatrice d’Herboristerie Créole

Avez-vous toujours été attirée par l’univers du bien-être et des plantes ?

Oui, toujours ! J’ai une formation d’ingénieure chimiste spécialisée en cosmétologie industrielle, ce qui m’a poussée à explorer l’innovation cosmétique tout au long de mes études et de mes premières expériences professionnelles. Mais mes racines remontent à mon enfance, dans le jardin créole de ma grand-mère, où j’ai découvert les plantes, leurs odeurs, leurs saveurs et leurs propriétés.

Étudier à l’étranger, en Belgique, en Hexagone et aux États-Unis, m’a fait prendre conscience de l’importance de ces traditions. Avec mes amis, nous avions des difficultés à nous adapter au froid et aux nouvelles habitudes. Nous demandions à nos mères de nous envoyer des plantes médicinales pour nous soigner naturellement. Ce lien avec les plantes m’a toujours accompagnée.

Comment l’idée de votre entreprise a-t-elle émergé ?

Après plusieurs expériences dans l’industrie cosmétique, je me suis heurtée à un plafond de verre : rester avec un salaire qui ne reflétait pas mon travail ou repartir ailleurs. Parallèlement, mes amis me demandaient toujours d’envoyer des plantes médicinales depuis la Martinique. C’est ainsi que l’idée a germé.

Nous avons alors recherché un terrain agricole épargné par la chlordécone, ce qui a pris un an et demi. En attendant, nous avons commencé à cultiver dans le jardin créole de ma grand-mère. Une fois notre terrain trouvé, nous avons développé notre activité en proposant des plantes locales en magasins bio. Malgré les scepticismes initiaux, nous avons constaté que beaucoup de gens préfèrent acheter des plantes préparées, évitant les contraintes de la récolte dans leur propre jardin.

Depuis 2015, notre herboristerie prospère. Nous ne vendons pas seulement des plantes médicinales, mais une histoire, celle des traditions ancestrales médicinales des Antilles. Ces savoirs, négligés dans les années 2000, connaissent aujourd’hui un renouveau face aux scandales pharmaceutiques. Nous voulons montrer qu’en Martinique, il y a bien plus que des plages : il y a un patrimoine botanique riche, un héritage culturel et un savoir-faire qui méritent d’être transmis.

Vous semblez attachée à l’histoire et aux traditions martiniquaises. Pourquoi est-ce important pour vous ?

C’est une histoire de femmes. Les plantes médicinales étaient utilisées par les femmes, mais elles ont été bannies de la pharmacopée parce qu’à l’époque, ces femmes étaient perçues comme des empoisonneuses. Nous essayons de faire revivre cette tradition en respectant une certification bio pour préserver la santé de nos clients et de la planète.

Nous avons transformé un simple terrain en un jardin créole vivant et diversifié, avec des plantes, des fleurs, des fruits, et des légumes. Aujourd’hui, nous avons plusieurs parcelles qui nous permettent de laisser aux plantes le temps de pousser. Ce travail de qualité est validé par des analyses scientifiques qui confirment leurs taux élevés de principes actifs.

Qu’est-ce qui fait de la Martinique un lieu ressourçant ?

Ce sont mes racines. Un jardin créole est un endroit où l’on sent la nature vibrer, où elle nous enveloppe. Cette luxuriance débordante, très différente des jardins ordonnés, représente l’essence de la Martinique.

Si vous deviez associer la Martinique au bien-être, que diriez-vous ?

Je pense à un jardin créole, à la sérénité des rivières. Préparer et boire une tisane est un moment d’échange et de calme, une véritable Madeleine de Proust. J’espère partager ce rituel avec des personnes extérieures à la Martinique pour qu’elles puissent aussi découvrir ces bienfaits.

Avez-vous un lieu préféré pour vous ressourcer ?

Deux endroits me viennent en tête : la réserve naturelle de la Caravelle, avec ses couleurs et ses oiseaux marins, et mon propre jardin, où je prends le temps de plonger mes pieds dans la rivière et d’observer la nature.

Une plante emblématique à mettre en avant ?

L’Atoumo ! Cette plante venue d’Asie est devenue un symbole des Antilles. Consommée pour ses vertus contre la grippe et les maladies, elle représente le métissage et la longévité. Sa grande taille, ses fleurs magnifiques et ses propriétés bienfaisantes en font une plante chère à mon cœur.